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Le magicien-illusionniste Marc-Alexandre Brûlé et la femme de théâtre et musicienne Andrée-Anne Gingras-Roy nous proposaient entre deux confinements de COVID-19 une tournée de spectacles en distanciation physique pour les aînés et familles défavorisées de l'Île de Montréal. Grâce au précieux soutien du Conseil de Arts de Montréal, ce sont plus de 60 représentations qui ont été offertes dans 10 arrondissements de la ville et près de 3000 spectateurs qui ont pu profiter en personne de ce duo intitulé LES ILLUSIONNISTES, un hybride théâtral entre un concert d'instruments inusités et un spectacle de magie contemporaine, un projet hors les murs unique au Québec.





« Je rêvais depuis longtemps d'un récital de magie », nous dit Marc-Alexandre, magicien, concepteur du spectacle et instigateur du projet. « À cause du confinement, il allait y avoir très peu pour les familles durant l'été 2020, encore moins celles des zones défavorisées de la ville, et ces milieux de vie possèdent de superbes cours intérieures, parfaites pour cette proposition. Surtout que les résidents pouvaient rester sur leur balcon pour assister au spectacle! »

En partenariat avec une quinzaine de tables de concertation de quartier et organismes communautaires, les représentations spontanées du spectacle en distanciation physique se sont déroulées dans différents jardins de l'Office municipal d'habitation de Montréal et n'ont bien sûr qu'été annoncées secrètement aux résidents locaux, question d'éviter tout rassemblement et pouvoir respecter religieusement les consignes sanitaires.


Entrevue avec le magicien Marc-alexandre Brûlé, directeur artistique et instigateur du projet.



Quel a été le point de départ de votre projet?


J'avais en tête un récital de magie. Ma prémisse était d'exploiter théâtralement cette image du duo homme-femme classique du Music-Hall, ces couples de médiums / télépathes qui était la norme des spectacles de magie de l'époque, mais en évacuant la dynamique du magicien-assistante : plus souvent qu'autrement, c'est ma collaboratrice (Andrée- Anne Gingras-Roy) qui a le lead, qui joue les pièces musicales, et moi, j'accompagne avec des chorégraphies magiques. Il y avait là dedans un quelque chose de l'après-guerre, du post-crash boursier qui se croisait avec des photos d'archives de la grippe espagnole et des ruelles de Montréal que je voyais circuler sur un fond de #MeToo bien ancré. Ça me parlait et je savais que nous pourrions en tirer des moments capables de capter l'imaginaire.





Vous et Andrée-Anne étiez des collaborateurs de longue date?

Non, pas du tout. Nous avions travaillé ensemble sur Nomade et Nebbia (Cirque Éloize & Daniele Finzi Pasca), mais Andrée-Anne passe habituellementla majeure partie de son année à l'étranger avec la Compania Finzi Pasca. Cette pandémie qui l'a immobilisée au pays aura été une occasion inattendue et exceptionnelle de créer ensemble quelque chose d'unique et surtout d'éphémère. Alors que je m'intéressais surtout au début à des transpositions de standards jazz, j'ai eu un coup de foudre musical pour son travail et ce sont fnalement presqu'exclusivement les géniales compositions d'Andrée-Anne qui tapissent l'ensemble du spectacle... et de ma tête! J'ai ses mélodies qui me collent à l'oreille depuis près de trois mois...


Une seule musicienne, n'est ce pas trop « minimal » pour un concert extérieur?

Nous voyagions avec notre propre sonorisation complète, la même que j'utilise normalement dans des résidences pour aînés ou spectacles corporatifs. C'est du haut de gamme et surtout super bien travaillé par un des meilleurs sonorisateur de la province, question qu'Andrée-Anne puisse utiliser abondamment des boucles (loops) et séquences pour se démultiplier, pour créer des couches orchestrales, comme elle le fait sur Donka par exemple (Compania Finzi Pasca). On peut alors entendre dans la même pièce violon, voix, accordéon et cajon, mais tous joués en direct par la même personne, en superposition. Les spectateurs aiment à voir cette construction à vue des pièces musicales, comme des tours de magie dont on exposerait les secrets et parce que tout est programmé, que nous opérons tout le spectacle avec nos pieds, et qu'il n'y aucun technicien, ça ajoute à l'efet spontané, magique. Il y a surtout une fascination pour cette femme- orchestre; c'est elle la vraie magicienne du spectacle! Quoique je contribue aussi dans quelques pièces au jouant tuba, ukulele ou voix.

Et votre collègue Andrée-Anne, elle fait de la magie aussi?

Absolument. Il y a entre autres ce numéro que j'adore qui est un duo de télépathie, de vision à distance, où elle a les yeux bandés et devine les pensées ou voit des objets dissimulés des spectateurs tout en s'accompagnant elle-même aux percussions, alors que je guide l'expérience à travers la vitre de mon scaphandre. C'est presque de la parodie par moment et très post-moderne, mais au final elle le fait pour de vrai! C'est notre moment d'interactivité parlée, seul moment où je sors de notre petit enclos, l'occasion parfaite pour purger tous les gags Covid-19 dans un seul et même numéro, d'interroger notre être ensemble, et rire de ce qui se passe actuellement et de le transposer dans un surréalisme loufoque. Dans la deuxième phase du projet, il y a aura encore plus de moments magiques pour elle; et je n'aurai plus le choix de commencer à m'entraîner au vibraphone : )




Je regarde vos photos et vous ne semblez pas voyager très « léger » pour un spectacle ambulant?

Effectivement, mais je n'ai fait que suivre l'inspiration de la musique et ce que demandaient ces lieux autant au niveau technique qu'artistique. En suivant surtout l'évolution de notre compréhension de la pandémie, cette découverte à tâtons de comment nous allions pouvoir, comme artistes, contribuer efficacement à travers les restrictions. Il fallait être à la fois léger, très visible et intelligible à distance, comment allaient-ils nous entendre dans leurs maisons, nous voir de leurs balcons,...? Alors de fil en aiguille, ce qui a germé comme un projet très léger à vélo avec un simple accordéon et quelques accessoires a rapidement pris de l'expansion pour remplir à ras-bord un véhicule. Pour se terminer avec un système de son complet, du mobilier, un vibraphone, un tuba,... avec l'adaptation et logistique que ça implique. Mais, au final, nous ne sommes toujours que deux. Il restait important pour moi dans le contexte de rester dans une structure portative qui allait offrir du pain sur les planches à des artistes plutôt qu'un grand coup d'éclat techniquement complexe pour briller sur les médias sociaux. D'être là, sur le terrain, dans les tranchées, comme tout bon travailleurs de premier plan. Au final, c'est tout de même resté une tournée ultra légère où tout le matériel et les deux artistes qui voyageaient dans un seul véhicule à émissions compensées. Mais le vrai tour de magie dans tout ça, c'est quand on refermait le coffre à la fin du démontage!




À qui s'adresse votre concert magique?


Je voulais d'un projet qui allait pouvoir rassembler tous les âges pour simplement être ensemble, malgré tout, et diluer un peu cette morosité covid-19 dans un contexte sécuritaire, mais tout en restant dans les arts vivants. Je trouvais primordial d'offrir une œuvre intergénérationnelle avec du contenu capable de toucher, d'être vu, entendu, d'être compris de façon égale par les 5 à 105 ans sans tomber dans le gratuit. Je vois la magie et la musique comme deux disciplines très primitives : avec la danse, c'est ce qu'on l'on faisait au tout début autour d'un feu! Au delà des prouesses musicales, il est certain que l'attrait de la magie est une belle porte ouverte vers le public familial néophyte, mais toujours dans une optique de faire découvrir autre chose : une pièce de Philip Glass au vibraphone, par exemple, ou des instruments moins connus comme l'orgue de verres. À cause de notre esthétique, on joue la carte classique, mais c'était une façon détournée d'aller vers le contemporain, à la fois dans la magie que la musique. Nos statistiques maison (dénombrement sur échantillon de photographies) nous parlent d'une répartition approximative de 60% d'aînés, 15% d'adultes actifs et de 25% de moins de 18 ans.



Et la barrières des langues?

Afin de bien percer dans des milieux de vie à forte tendance allophone, nous avons choisi de préconiser une approche sans parole. Nous avons fait appel au fantastique Jesse Dryden qui enseigne l'art clownesque à l'École Nationale de Cirque pour nous concocter une mise en scène à la fois physique, compacte et dynamique, mais tout en restant dans le poétique, la douceur et la lenteur, capable de capter l'attention, de permettre une interactivité à distance. C'était essentiel surtout de conserver l'aspect POUR TOUS et décontracté de la représentation afin de rester accessible pour les très jeunes et les plus âgés, mais surtout d'en faire surtout un moment rassembleur qui transcende les cultures.



Et pourquoi les habitations de l'Office municipal d'habitation de Montréal en particulier?

Il faut se remettre dans le contexte : au printemps 2020, trouver son public était pour tous les artistes une réflexion de taille (ce l'est toujours!) L'Office municipale d'habitation de Montréal (OMHM), c'est des centaines de milieux de vie, la plupart avec d'immenses cours intérieures et il y a longtemps que je réfléchissais à un projet de performance qui pouvait mettre ces lieux en valeur. Ce sont des jardins privés très souvent magnifiques et inspirants qui convenaient parfaitement à l'exercice. Et comme les logements entourent le terrain ceux qui devaient rester confinés pouvaient profiter du spectacle à partir de leur balcon: les plus jeunes s'assoyaient directement dans le gazon, les plus agés sortaient leur chaise; nous avions le meilleur des deux mondes. En plus, la sécurité de ces espaces est assurée par une impressionnante délégation d'agents de sécurité, une équipe non-policière qui, en contexte d'hyper-surveillance sanitaire, se portait tout à fait à la logistique légère de notre projet.

L'on sait déjà que le logement social est une armature majeure du développement social de Montréal et je crois que le simple fait de soutenir et encourager une certaine participation des locataires en cette période de crise contribuais à envoyer un message simple et subtil que personne n'est laissé pour contre, tout en étant une belle occasion de contribuer à notre façon à atténuer les préjugés et stéréotypes. Car, il est certain que, encore plus que les résidents eux-mêmes, les passants du voisinage qui s'arrêtaient pour assister, curieux, à des bribes du spectacle-concert étaient les plus surpris de constater qui étaient les vrais privilégiés, je veux dire, dans ce contexte où personne ne pouvaient sortir pour aller assister en personne à des spectacles vivants. C'est puissant. Téléphones brandis, sourires au lèvres, j'ai très certainement aperçu souvent au cours de notre virée des traces d'une sorte de sentiment d'appartenance positif, de fierté, je ne sais pas, cette soudaine impression d'être choyés, qui saura j'imagine faire son chemin, doucement. Et parce que nous ne sommes pas l'OSM ou autre vedette, j'ai chaque fois vu cet étonnement lors de mes conversations avec les intervenants après les représentations, et cette gratitude à la fois, d'avoir eu une cette chance d'accueillir un projet de qualité directement dans leur milieu. On sent la valeur que ce geste tout à fait gratuit vient ajouter à « leurs gens » et à leur travail de synergie de milieu.


De l'art d'extrême proximité : fréquentation et démographie

Sans festival ou maison de la culture, il était clair au début de l'été qu'il n'y aurait que très très peu en arts vivants pour les familles de la ville, encore moins pour les clientèles des secteurs défavorisés. Imbibé de toutes ces réflexions sur la « ville 15 minutes », je tenais à ce que ce projet puisse offrir des arts vivants de proximité là où il n'y en aurait pas eu nécessairement. Encore plus important pour moi était de dépasser le stade de la performance élitiste exclusive promotionnelle et d'offrir le plus grand nombre de représentations possible; tout le monde autour de nous a été extrêmement généreux dans la mise sur pied de ce projet et c'était notre façon de redonner. Au final, c'est : 9 arrondissements que nous avons visités; 22 organismes partenaires de diffusion; 25 représentations que nous avons offertes à la collectivité. En additionnant les chiffres des différents organisateurs et en se fiant aux clichés des événements pour faire du dénombrement, nous concluons avoir présenté directement devant environ 650 personnes. Et en y incluant les spectateurs curieux non-officiels en périphérie ou derrière leur fenêtre, c'est un peu moins de 1000 spectateurs qui auront pu assister en personne à notre spectacle-concert.



« Des spectacles magiques directement dans leur jardin. »



L'art comme outil du communautaire


Notre méthodologie, très intuitive et non testée (comme beaucoup d'autres choses ces jours-ci), a été une sorte de bref laboratoire pour comprendre ces lieux peu exploités et très peu visités que sont les logements sociaux. Il était clair dès le départ de nos approches que nous allions nous mettre au service d'initiatives non-culturelles plus grandes que nous, auprès de ceux qui ont déjà une connaissance très fine de leur quartier. Nous avons profité de la collaboration de l'OHMH elle-même, d'organisateurs communautaires, d'associations de résidents, mais surtout d’organismes in situ dans les immeubles de l’Office (maison des jeunes l'Axe, Cuisines collectives à toutes vapeur, Youth In Motion) ou d'organisme rassembleurs (table de concertation,...) mieux placés qui quiconque pour du travail de proximité. Nous cherchions à être de simples catalyseurs en nous greffant à des événements existants ou, Covid oblige, normalement existants. D'abord, question de rester une surprise, pour éviter un rassememblement, oui, mais pour offrir l'art comme cadeau à ceux qui osent se déplacer et participer surtout, souligner de nouveau aux résidents et intervenants des quartiers comment l'art est un outil de maillage idéal. Spécialement ces mois-ci, où les succès ne se mesurent qu'en dizaines de personnes ou se font par téléphone, il est évident que sans l’apport de partenaires externes comme nous ces différents organisateurs n'auraient pas nécessairement eu le prétexte ou le même pouvoir d'attraction pour rassembler ces gens. À souligner comme exemple, le cas des Habitations Augustin-Cantin dans Pointe-Saint-Charles qui aura été l'occasion de contribuer au rapprochement de Charles-Étienne Filion et Danielle Lacroix, organisateurs communautaires pour l'OMHM et Action Gardien, un de nos ponts importants avec l'organisme, avec ces habitations où il n'y a pas d'association de locataire ou de groupe communautaire in situ. On fait notre travail, il font le leur. Et même si c'est du travail à la fois de moine ou de col bleu de par ce que ça demande physiquement et logistiquement, je crois que la présence de performances artistiques directement sur les terrains de HLM ouvrent l'accessibilité au culturel, surtout pour les familles et aînés qui n’y participeraient pas si celles-ci se tenaient à l’extérieur de leur milieu immédiat. Par moment, parce que la ville était presque totalement paralysée et que faire sortir ces gens, ne serait-ce sur leur balcon relevait du tour de force, je me suis senti par moment comme une maison de la culture ambulante aux tentacules plus courtes. En considérant surtout qu'il s'agissait de l'opération d'une seule personne au booking et à la logistique. Sorte de voyage dans le temps, j'ai pensé souvent sur la route à Paul Buissonneau et au Théâtre de la Roulotte: l'OMHM a soulignée plusieurs fois par le passé comment une présence culturelle, surtout des interventions directes, pouvaient vraiment faire une différence dans la vie des locataires et influencer positivement la synergie d'une zone de quartier.





Dans LEUR jardin

Notre projet ne versait pas dans la médiation culturelle, mais voyager dans la communauté aura certainement été l'occasion de superbes rencontres pour partager sur nos disciplines respectives et ofrir une écoute: c'est comme si on entrait chez les gens, qu'on amenait l'art directement dans leur jardin. À la lumière de notre expérience, il est clair que d'être CHEZ les gens, d'offrir une proposition artistique directement dans leur cour, donne un portée extraordinaire à ces interventions. On pique la curiosité de jeunes talents à venir, comme toujours, on brise des préjugés et stéréotypes, surtout. Nous avons rencontré des personnes qui ont grandi au Pakistan, en Russie avant de s'installer ici. On nous a ofert un excellent bortsch tout frais tout chaud et du thé: c'était comme voyager dans notre propre ville, pour eux autant que nous. Ou de surprendre les enfants à leur retour de l'école, un spectacle dans LEUR cour. À deux reprises, nous avons présenté le spectacle pour des milieux de vie pour jeunes adultes vivants avec une déficience intellectuelle ou le trouble du spectre de l'autisme : l'appréciation était plus que palpable. Et une des belles exceptions dans notre calendrier-concept aura été ce « dîner-spectacle » au Resto-Plateau, une soupe populaire tout à fait géniale située sur le site du monastère du Saint-Sacrement, juste à côté de la Station Mont-Royal : plusieurs commentaires exceptionnellement émouvants et surprenant de la part de quelques vieux motards endurcis ou de travailleurs du chantier de la station de Métro qui avaient profité de leur heure de dîner qui ont une forte valeur à nos yeux. Et ce groupe de la maison des jeunes l'Axe, qui a pignon sur rue à même les Habitations Séguin dans Pointe- Aux-Trembles, y avait carrément aménagé une scène pour la tenue de spectacles. À cause de la météo de tempête tropicale cette journée là, nous avons choisi d'installer notre spectacle directement sur leur terrasse abritée à quelques pieds de là. Sans jeu de mot: Magique!


Les Illusionnistes, récital de magie nouvelle. Pour plus de détails, visitez la page officielle du projet: https://www.marcalexandrebrule.com/les-illusionnistes-magie-nouvelle






Le 10 octobre dernier j'étais à la première édition des DevOpsDaysMTL pour présenter quelques-unes de mes illusions aux participants à l'heure du cocktail.


I'm telling you: this guy is the devil in person. Wow!

Les quelques citations que j'ai recueillies pendant la soirée montrent à quel point la magie qui, évidemment se déroule à 100% dans leur esprit, peut être des plus puissante et réellement ressembler à ce qu'on s'imagine être de la vraie magie. Il est très fascinant pour moi d'analyser chaque jour la psyché humaine à l'oeuvre et de voir l'étendue de la force de l'intelligence et de l'imagination. Mais surtout, comment l'une et l'autre vont main dans la main: il est prouvé que plus vous êtes un esprit analytique et éduqué, plus vous serez frappé de plein fouet par le pouvoir d'évocation d'une histoire magique et toutes les conditions techniques qui s'y rattachent. Peut-être surtout parce que l'intelligence et un oeil aiguisé permet d'apprécier au maximum la finesse et les subtilités du travail du magicien et de le suivre jusqu'au bout du sentier.




Merci encore à Julia Simon pour cette belle opportunité.



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